Alentours : Jours de Classe

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Dans un gris mois de Septembre, l’école profite que l’on s’intéresse un peu à elle (c’est de saison) pour faire aussi sa rentrée au cinéma : Entre les murs de Laurent Cantet arrive ainsi en salle, tout auréolé de sa palmitude dorée. Sur les écrans donc, François Martin[1] attaque sa quatrième année de cours de français dans une classe de quatrième à Paris.
Les médias s’étaient enthousiasmés de la récompense en Mai dernier, les voici qui remettent le couvert pour la sortie du film : «Entre les murs, de Laurent Cantet, est-il un film si exceptionnel que cela, avec ses petits moyens, ses non-comédiens, son refus délibéré d’en mettre plein la vue, son propos sociopolitique brûlant ? La réponse est oui, sans l’ombre d’un doute.»[2]
Il y a deux ans, en pleine rentrée 2006 (saison oblige), paraissait Jours de Classe de Big Ben, au Potager Moderne. Un livre parlant de l’école vécue de l’intérieur, un témoignage à la première personne. Big Ben, vétéran de trois années et demie de cours de français, rempilait alors pour une nouvelle année en sixième.

Entre le film et la bande dessinée, on retrouve la même structure temporelle, étirée entre la pré-rentrée et le dernier jour de classe avant les vacances, l’espace symboliquement clos d’une année scolaire. Les jours s’y succèdent, immuables ou presque, et seuls de rares indices viennent en marquer l’écoulement — les conseils de classe rythmant les trimestres d’Entre les murs, ou les grèves et blocages liés au CPE qui permettent de situer les événements de Jours de Classe au printemps 2006.
A cette temporalité focalisée sur l’année scolaire, répond une géographie limitée aux murs de l’école. On en viendrait presque à se demander si les personnages de ces récits ont quelque existence en dehors de ces lieux qui semblent définir leur raison d’être : enseigner, ou apprendre.[3] Comme dans Entre les murs, Jours de Classe met d’ailleurs en avant le questionnement des élèves lorsque l’accueil dans la structure s’interrompt — que ce soit de manière définitive (via une expulsion) ou temporaire (la grève).
Si cet univers clos gravite principalement autour de la relation entre le narrateur/professeur et ses élèves, on retrouve également, tant dans le film que dans le livre, le groupe vaguement inquiet des enseignants — attachés à de grands principes, qui semblent souvent abstraits et lointains face à leur travail quotidien. Cette déconnexion des choses (que ce soit lorsque l’on évoque l’arrestation d’un parent d’élève sans papiers, ou que l’on décide de faire grève parce qu’il faut «montrer qu’on est solidaire avec les autres professions contre le CPE») trouve son écho dans l’isolement «entre les murs» de l’école — comme si ces réalités se jouaient ailleurs. Reste la salle des professeurs ou le réfectoire, espaces neutres en milieu hostile, lieux de réunion et de confidence, d’énervement et de découragement.

Et bien sûr, il y a la masse indisciplinée des élèves — restreinte pour Entre les murs à une unique classe, dispositif artificiel mais répondant à la volonté de Laurent Cantet de mettre ainsi en scène un condensé du monde au dehors. L’approche de Big Ben est plus directe, et cherche peut-être moins à raconter l’évolution d’une relation que d’évoquer des rencontres.
Cependant, le parallèle est frappant entre la longue séquence du livre («en 6e, 40 minutes de cours en 280 cases») et les scènes de cours du film autour de l’étude de textes.[4] On y retrouve la même tension sous-jacente, le même bouillonnement, la même impression d’environnement au bord de la rupture. La violence réside dans les mots (alors même que certains leur échappent), dans cette bataille pour la parole, dans cette lutte pour se faire entendre.
Dans le film, ces scènes deviennent des points forts et emblématiques, à tel point qu’elles figurent en bonne place dans la bande annonce. Dans le livre de Big Ben, cette séquence à part[5] se conclut par une petite fiche récapitulative soigneusement datée et remplie (classe, professeur, sujets traités), l’inscrivant dans une routine ordinaire.[6]

Ce n’est que lorsqu’enfin l’année arrive à son terme (sans happy end forcée ou obligatoire), que les rapports entre professeurs et élèves s’assouplissent un peu et passent sur un plan plus personnel — humain, presque : le match de football du film, ou l’échange sur les bandes dessinées de Big Ben.
Chacun, à sa manière, décide néanmoins de conclure sur une ultime remise en cause : se voulant dramatique dans le film (envisageant le cas d’un élève n’ayant rien appris, soit l’échec de l’enseignement), plus ironique dans le livre (mettant en doute, à la dernière page, le talent de dessinateur du professeur-auteur).
C’est peut-être dans ces deux inquiétudes que s’exprime finalement la différence d’approche entre ces deux œuvres documentaires, portant sur un sujet similaire et venant à utiliser des dispositifs quasiment identiques. D’un côté, un cinéaste engagé porteur d’un message, qui redoute qu’il ne soit pas entendu ; de l’autre, un auteur en prise avec son livre, questionnant sa capacité à raconter. Soit en quelque sorte le choix entre témoigner pour dire, ou dire pour témoigner.

Notes

  1. Interprété à l’écran par François Bégaudeau, auteur du livre Entre les murs qui traite de sa propre expérience de professeur, et dont s’inspire le film. Une «mise en scène» à plus d’un titre donc, de son témoignage.
  2. Jean-Luc Douin, Le Monde du 23 Septembre 2008.
  3. Pour être tout à fait exact, Big Ben intègre dans son livre quelques courtes scènes qui se déroulent chez lui, dans le prolongement de son activité de professeur. L’une d’entre elles (p.34) le confronte même à distance avec l’une des élèves croisées au collège. Rien de tel dans Entre les murs (titre oblige ?), pour lequel Laurent Cantet indiquait son désir d’«observer un microcosme qui devient la caisse de résonance du monde extérieur, de ses enjeux politiques et sociaux.»
  4. En particulier celle qui traite de La Princesse de Clèves et de son vocabulaire, et débouche sur l’imparfait du subjonctif.
  5. Par la longueur tout d’abord, puisque les autres séquences oscillent entre une et sept pages, mais elle est de plus imprimée sur un papier plus blanc que le reste du recueil.
  6. Ou l’opposition entre spectaculaire-synthétique et anecdotique-authentique.
Dossier de en octobre 2008