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Die europanichos assimil

de

Il y a peut-être trois choses à l’origine de ce livre.
D’abord, qu’il y eut cette multiplication des langues à l’origine[1] et qu’advient aujourd’hui leur grand mélange. Ensuite, que la bande dessinée soit un rapport texte-image qui contient le langage et sa syntaxe, dans ses structures tabulaires et images fixées. Enfin, que la bande dessinée fût souvent envisagée comme moyen de maîtriser une langue et sa lecture, pour les plus jeunes en particulier et les plus fraîchement arrivés en général.

De par son titre, son mode narratif et son histoire burlesque mais édifiante, c’est ce dernier point qui est le moins hypothétique. Pour le reste il y a bien ce pidgin, sabir, à l’échelle euro communautaire[2] et ce «vacaboular» précisant par l’image ce que sont objets («centwits», «taramasalata», etc.) protagonistes («touristikul», «Policpeepèl», etc.) et expressions («achtoung»).
Mais d’une certaine manière, que ce soit réfléchi ou intuitif pour l’auteur, on peut admettre que les deux premiers points découlent du troisième et de cette attention «pédagogique» qui le gouverne.

Avec son dessin plein de charme où personnages et objet semblent des assemblages de fil de fer que dévoile parfois une légère perspective ou une superposition liée à une action, Benoît Jacques nous offre une méthode comme les autres pour apprendre un mélange de langages mal appris, parcellaires, en souvenirs flous des années collège et lycée, qui survit dans la grande majorité des mémoires par la lecture de sites Internet interlopes et les notices d’objets fabriqués en chine. Par soucis pédagogique respectueux de l’original, l’auteur fait une bande mais pas de bulles. Le langage ne doit pas être à soi mais celui de tout le monde affirmant autrement comme dans la chanson que «c’est franchement bien, on est quand même tous des européens». Chaque case est donc chiffrée, avec son dialogue/phrase en narratif, à retenir et à jouer pour et dans l’irréalité d’un voyage.

Etymologiquement «assimiler» c’est «feindre» ou «reproduire en imitant». En se jouant et rejouant de cette méthode «assimil», en montrant que la compréhension semble secondaire et singer préférable,[3] où les fonctions d’orientation et de désignation déjà vues et entendues semblent primer dans une géographie consacrée au tourisme et à la sécurité, où les clichés langagiers et culinaires deviennent moteurs, Benoît Jacques montre par la bambochade l’absurdité de cette autre novlangue, littéralement «basic» et transformant tout en décor. L’europanichos est un esperanto sans espérance, spontané et improvisé, affirmant une multitude d’identités pour n’en faire qu’une[4] dont on pourra se moquer tant qu’elle n’aura pas fait littérature et traduit le monde de façon inédite.

Bien sûr et heureusement ce livre a aussi ce petit plus invitant au baragouinage et à la cacographie. Benoît Jacques a le talent pour ça et l’extraordinaire possibilité de son vocabulaire visuel faussement simple pour exprimer ce qui reste aussi un plaisir pour tout un chacun s’enchantant des possibilités du langage. D’une certaine mesure, il partage l’attention qu’avait Queneau pour le langage parlé, son ludisme, son invention. Cet album reste donc à ce point drôle et ouvert pour que l’on puisse toujours joyeusement ce demander «Doukipudonktan ?»[5]

Notes

  1. Origine certes mythologique mais qui fait sens, oriente l’imaginaire et la construction du réel.
  2. Une euro communauté à sept si on en croit la couverture où Benoît Jacques traduit sept fois nom et prénom.
  3. Souvenez-vous de cette publicité pour une lessive, il y a quelques années, où des singes semblaient parler en un langage aussi confus.
  4. Comme sur la couverture : sept noms de professeurs pour un nom d’auteur.
  5. Premier mot de Zazie dans le métro, pour l’intérêt de Queneau pour le langage parlé, voir son livre Bâtons, chiffres et lettres (contenant aussi et par la même occasion ses Pictogrammes datés de 1928 qui préfigurent sur certains point les préoccupations d’un Cizo).
    Notons aussi, qu’en son temps, Goscinny c’était moqué finement, lui aussi, dans Astérix et compagnie, d’une autre dérive du langage, celle oscillant entre jargon, langue de bois et sophisme des milieux économico-politiques et leurs alentours communicationnels.
    Je note pour finir que pour l’instant (et à ma connaissance) les Astérix n’ont été proposés (en dehors des traductions habituelles) qu’en langues mortes et régionales mais jamais en jargon ou langages de professions qui pourraient aller d’argots type loucherbem à ceux plus technique se démarquant par leurs tournures et vocabulaires comme celui, par exemple, pratiqué par le monde juridique.
Site officiel de Benoît Jacques
Site officiel de L'Association
Chroniqué par en juillet 2006