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La Méthode Bernadette

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Je fais souvent le reproche à la bande dessinée de ne pas présenter assez d’objets autres que ceux liés à de la fiction ou à de la distraction. Indéniablement, le spectacle et «l’entertainment» prennent une place prépondérante et ce, sur l’ensemble de la production. Cet état de fait pourrait d’ailleurs ne pas être plus dérangeant que ça. Au cinéma par exemple cette débauche distractive est équilibrée par toute une autre frange de la production, moins clinquante mais tout aussi brillante, originale et reconnue. Le cinéma d’auteur est un cinéma vivant, productif et dynamique. En bande dessinée le déséquilibre est flagrant, abyssal et contribue grandement à son image «enfantesque» qui lui colle à la page.
Car pour le neuvième art, les livres de fond (comme on les nomme) se font plutôt rares. Ce que j’entends par «livre de fond», ce sont ces ouvrages qui servent par exemple à révéler des pans peu ou pas connus de l’histoire, de l’ethnologie, de la sociologie, de l’économie etc… ces livres qui expliquent et qui posent le débat ; ces livres qui prennent position, ou qui n’en prennent pas mais qui font qu’au final lorsqu’on les repose une fois finis, de nouvelles interrogations se sont ouvertes à nous et nous incitent ainsi à aller voir ailleurs, à aller chercher plus loin — bref à approfondir.
Mais aujourd’hui est un jour béni puisque j’ai eu l’occasion de faire la lecture d’un de ces livre qui se trouve justement au carrefour de différents courants et qui en possède une bonne dose (de fond).

La Méthode Bernadette nous explique comment, de 1934 au début des années 70, un chanoine du nord de la France a tenté par une méthode astucieuse de mise en scène de silhouettes archi-connues de la Bible, de reprendre en main l’éducation défaillante des catholiques âmes françaises. Car la France, comme vous le savez tous, est depuis l’époque de Clovis (Vème siècle) «la Fille aînée de l’église». Or, en ces temps troublés de l’entre-deux guerres, voilà qu’une partie des brebis de la si sage fille aînée semble vouloir s’émanciper. Plusieurs sont même tiraillées par un communisme grandissant qui étire son ombre bolchevique de plus en plus proche de nos frontières. Pour répondre à cette attaque, l’abbé Bogard et sa troupe de Bernadettes vont mettre en place une méthode d’apprentissage catéchistique simple pour tenter d’endiguer le phénomène d’une déchristianisation rampante. Ça, c’est pour l’objet du livre. Mais tout l’intérêt de l’ouvrage repose sur deux points importants : le graphisme et sa position par rapport à l’Histoire.

Ainsi, Laurent Bruel met au jour une méthode appliquée par le catholicisme et basée sur une narration en silhouettes, à peine soutenue par quelques mots ou quelques phrases, et dont le but ultime est l’apprentissage des bases de la religion chrétienne. La présentation de l’ouvrage se fait de la manière suivante : sous les tableaux créés par l’abbé et ses Bernadettes et réduits à la taille d’une case, l’auteur déroule son récit explicatif.
Nous voici donc en possession d’un outil qui à la base, était didactique mais qui sans le savoir et surtout sans le vouloir, a glissé sur le terrain artistique. Nous avons un aspect (la forme) qui malgré un message clair et fort (le fond) nous offre en tant qu’amateurs d’images, un degré de lecture que les concepteurs n’avaient pas envisagé sous cet angle. La pureté du message présenté, dans l’esprit de ceux qui l’ont conçu, n’aurait jamais du être supplanté par la lecture primaire de l’image. Le livre met donc en exergue le fait que fond et forme peuvent s’interpréter de façon radicalement différente suivant ce que le lecteur cherche.
La Méthode Bernadette est un livre qui graphiquement expose de façon ingénieuse comment un message simple, placé dans un cadre uniquement composé de noir et de blanc, peut se révéler extrêmement percutant et parlant. Les exemples sur les mises en scène orchestrées autour de menus détails sont nombreux. Il est ainsi parfaitement montré comment avec un ou deux détails en moins, une image ne veut plus du tout dire la même chose, comment le jeu des silhouettes peut basculer du didactique au grotesque en un rien de temps.[1] L’art dans sa fonction première, c’est-à-dire avant de se retrouver engoncé dans cet habit pompier faussement provocateur qui est le sien actuellement, avait une fonction pédagogique. Esthétique certes, mais pédagogique d’abord et en particulier concernant les choses de l’esprit et donc de la religion à qui elles étaient intimement liés. Or La Méthode Bernadette s’inscrit dans cette grande tradition de l’Eglise éduquant ses fidèles par l’image et c’est une jubilation que de nous le montrer ainsi.

Ensuite c’est un livre qui indéniablement se positionne par rapport à l’Histoire. En le finissant on comprend bien qu’on a là entre les mains un témoignage unique, matériel, des premières manifestations de la déliquescence à venir de la religion catholique en France. C’est donc un livre qui s’inscrit dans une vision historique et ethnologique globale de cette France en mutation du milieu du XXème siècle.
Car si la Méthode Bernadette est une méthode qui a irradié le monde francophone et même un peu au-delà, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’à la sortie de la seconde guerre mondiale, la bande dessinée et le livre jeunesse ont été pris en otage par les courants aussi bien politique que religieux afin d’éduquer de façon sous-jacente les forces vives de la nation en reconstruction. C’est ainsi qu’à ce titre le 16 juillet 1949, une loi soutenue à la fois par les communistes et les catholiques fut votée au parlement français afin d’encadrer au mieux les lectures des enfants de l’époque. Cet ouvrage révèle donc tout au long de ses pages un pan de notre histoire récente. C’est un travail remarquable, soutenu par le musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône et agrémenté d’une bibliographie fournie qui donnera à ceux qui veulent en savoir plus une fois la lecture terminée, une base de travail supplémentaire.
Pour ceux qui ne l’auraient pas compris donc, cette Méthode Bernadette je la soutiens à fond… dans le fond.

Notes

  1. Cf les pages 134 et 135 qui sont à ce titre incroyablement parlantes.
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Chroniqué par en décembre 2008

→ Aussi chroniqué par Loleck en juillet 2009 lire sa chronique