Pièces à Conviction

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Sous le ciel bas et lourd du matin gris de ce 21 Octobre parisien, symboliquement cent jours avant l’ouverture du Festival, Angoulême 2009 s’est dévoilé à la presse. Comme toujours ou presque, si une oreille polie était prêtée au déroulement du programme d’expositions, événements, rencontres, bref tout ce qui fait qu’Angoulême n’est pas seulement, l’espace de quatre jours, «la plus grande librairie de bande dessinée du monde», tous les regards étaient tournés vers la Sélection Officielle[1] dévoilée en fin de présentation.
La liste est donc là, couvrant au final 84 titres, avec son lot de compromis évidents, de déséquilibres fâcheux et d’oublis regrettables. Une fois de plus, écrasé sous le poids des attentes des uns et des autres, le seul festival de bande dessinée ayant un impact commercial véritable n’arrive pas à se choisir une personnalité, et tente le grand écart entre Festival de Cannes et Cérémonie des Césars.

Pour le meilleur et pour le pire, donc, et comme c’était le cas l’an dernier, c’est cette Sélection Officielle qui va servir de fer de lance de la promotion de la bande dessinée, se retrouvant largement mise en avant dans les diverses initiatives des deux principaux partenaires du Festival, à savoir la Fnac et la SNCF. Avec, cette année, une «première mondiale» qui semblait réjouir Franck Bondoux, tout frétillant lors de la présentation de l’innovation du cru 2009 : «la possibilité de se projeter dans l’avenir en consultant exclusivement les albums de la Sélection Officielle de façon dynamique et interactive, grâce aux performances d’une toute nouvelle plate-forme logicielle, la solution Ave !Comics[2]
Et Aquafadas, développeur de la chose, d’expliquer : «Ave !Comics permet de créer, à partir des planches d’origine, une animation à mi-chemin entre l’image fixe et le dessin animé. Quelle que soit la taille des écrans, le lecteur se retrouve immergé dans les images grâce à cette « cinématique de lecture », mélangeant animation des cases et effets de transition. Dans l’avenir, des effets de 3D, l’animation séparée des différents plans d’une image ou l’ajout d’une bande son comportant bruitages et musique viendront encore enrichir cette expérience de lecture.»[3]

Evidemment, depuis ses débuts, le cœur de l’activité d’Aquafadas tourne autour de la vidéo — englobant par la suite les présentations et autres diaporamas. Que ce soit VideoPier, iDive, BannerZest ou PulpMotion, tous ces produits «made in Aquafadas» traitent d’image en mouvement, proposant de «(mettre) en scène vos médias au travers d’animations spectaculaires : préparez-vous à impressionner vos clients, collègues et amis.»
Pas étonnant donc que Claudia Zimmer (fondatrice d’Aquafadas) ne puisse percevoir dans la bande dessinée qu’une matière brute, inachevée, à laquelle il ne manquerait que le mouvement pour atteindre son véritable potentiel. Son commentaire enthousiaste en guise de conclusion, ne fait que confirmer cette impression : «Ave !Comics va ouvrir le monde de la Bande Dessinée à de nouveaux lecteurs, peut-être encore intimidés à l’idée de pousser une porte de librairie, mais pour qui le téléphone portable, l’iPod ou l’ordinateur portable sont déjà des accessoires incontournables.»
Fille de vidéo et de technologie, Claudia Zimmer parle avant tout d’elle-même…

On le sait, la bande dessinée est populaire. Benoît Mouchart, directeur artistique du Festival, en est d’ailleurs convaincu : «La bande dessinée est pratiquée et lue partout dans le monde, quelles que soient les formes plus ou moins particulières qu’elle emprunte localement, et partout elle suscite une adhésion massive, un engouement qui ne se dément pas.»
Et pourtant. Et pourtant, la bande dessinée est tellement populaire, que l’on veut toujours lui trouver quelque chose à améliorer pour aller chercher de nouveaux lecteurs. Elle déclenche un engouement tel qu’elle intimide, suscite une adhésion si massive que l’on n’a de cesse de lui chercher des moyens de séduction.
Ainsi, la Sélection Officielle ne saurait se suffire à elle-même pour aller rencontrer de nouveaux lecteurs. Il faut la transformer, la transposer, l’adapter pour la rendre soi-disant plus attractive sous couvert d’une prétendue accessibilité. Alors oui, seules quatre planches de chaque ouvrage seront disponibles sous ce format, mais le discours de Franck Bondoux faisait clairement apparaître que ce choix était principalement motivé par la crainte du piratage, et non par la volonté de préserver l’œuvre originale.

Grande vitrine annuelle de la bande dessinée, le Festival d’Angoulême cherche encore la meilleure manière de la montrer. Certes, il n’est pas facile de la «mettre en scène» — sa lecture est avant tout une pratique personnelle, presque de l’ordre de l’intime. Mais en voulant se positionner sur les nouvelles technologies,[4] l’organisation a opté ici pour une solution (au mieux) maladroite, affichant un enthousiasme pour ce gadget à l’utilité et la pertinence douteuses qui en dit long sur la confiance accordée au «meilleur de la bande dessinée» pour convaincre…

Notes

  1. Avec des majuscules, s’il vous plait, histoire d’en souligner plus encore le caractère exceptionnel.
  2. Extrait du dossier de presse du Festival, ainsi que les citations suivantes.
  3. La vidéo présentée lors de la conférence de presse montrait à la fois l’interface destinée à recevoir l’ensemble de la Sélection Officielle sous forme d’une étagère virtuelle (proche de ce que peut proposer Shelfari) avec son système de vote, et proposait une courte démonstration d’Ave !Comics en action. L’animation en question mimait ainsi le parcours supposé de l’œil sur la page, passant de case en case à un rythme prédéfini.
  4. Tout en continuant de fermer les yeux sur les «blogs BD» et leur importance pourtant croissante, puisque deux ouvrages de la Sélection Officielle 2009 (American Elf de James Kochalka et Mon Gras et Moi de Gally) ont été en premier lieu publiés par ce biais. Pourtant, Benoît Mouchart se dit «très impatient de voir de quelle manière les auteurs, les artistes, vont s’emparer des innovations technologiques qui leur deviennent accessibles aujourd’hui grâce au Net et aux industries qui en accompagnent le développement.» Affaire à suivre…
Humeur de en octobre 2008