La nuit fantastique de Macherot

de

Étrange, qu’il y en ait eu autant. Voilà ce que je me disais en fermant la monographie consacrée à Macherot par l’éditeur Mosquito. Étrange, qu’il y en ait eu tellement, et aussi longtemps : je veux parler des inédits de Macherot, plus précisément les inédits de Sibylline parus dans le journal Spirou entre 1983 et 1990, dont j’avais lu la liste avec une certaine curiosité. Cela faisait beaucoup de titres dont je n’avais jamais entendu parler avant ce moment-là. Alors ça m’a intrigué cinq minutes, et puis j’ai pensé à autre chose.

Plus tard, je n’habitais plus au même endroit, j’avais agrandi ma bibliothèque, je n’avais jamais eu autant de place auparavant, alors je collectionnais de quoi mettre dedans. Cela faisait quelques années que je cherchais routinièrement Macherot dans les bouquineries montréalaises. Une fois de temps en temps, je trouvais un de ses livres et à force, j’en avais amassé pas mal. Au début c’était excitant : je savais la rareté de chaque volume que je trouvais, parfois en mauvais état d’ailleurs, mais cela m’était indifférent puisque je cherchais surtout à les lire et que ces histoires-là n’étaient pas trouvables autrement, ce qui fait que chaque nouvelle acquisition était comme une petite victoire sur l’entropie, cette force maligne qui use les livres et les fait pourrir dans les greniers des uns et les caves des autres.
L’excitation se tassa, les émotions du début s’émoussèrent mais je ne cessai pas de chercher Macherot, je ne cessai pas non plus de le trouver, d’ailleurs, mais à chaque fois c’était imprévu et imprévisible : vous entrez chez tel bouquiniste, sans idée précise et là, vous en voyez un : mettons Célimène en collection verte. Tiens, je ne l’avais pas, celui-là. Évidemment, on n’y pensait pas alors on tombe dessus, c’est la règle. Mais d’autres fois, on y pense en fait très fort, on passe la porte de chaque marchand avec l’idée qu’aujourd’hui, c’est sûr, il y a un Macherot qui vous attend. Et comme de fait : quelqu’un s’est départi de son Khrompire, il vous attendait dans l’édition «Péchés de jeunesse», c’était comme si vous aviez rendez-vous. Enfin nous nous rencontrons, Chaminou.

Bref, plusieurs précieuses acquisitions plus tard, me voilà en possession de Sibylline et le Kulgude, paru en 1985, dernier tome de la série, dernier album de Macherot également, tome funeste donc. Mais pas seulement, parce qu’à la lecture, il s’y trouvait une énergie inattendue, quelque chose de crépusculaire sans doute, c’est à dire à l’heure des feux d’artifice : une comédie appuyée, insulaire, spectaculaire, gracieuse et sans but aucun. Mais rien pour dire : ça finit ici. Pas d’au revoir au lecteur, aux personnages. Au contraire, le récit est engrangé dans une fuite en avant dont on se demande bien ce qui pourrait l’arrêter. Et pourtant, après ça, rien. Pas de tome 12 pour Sibylline.

La lecture me surprend dans mes suppositions. Retour à la monographie pour confirmer ce qui me semble soudain clair : ce que je tiens dans les mains n’est pas du tout le dernier Macherot, loin s’en faut. Il y a eu autre chose ensuite, et pas qu’un peu : j’épluche les bibliographies, prends ma calculette et compte 260 planches inédites, toutes postérieures au Kulgude. Toutes laissées à elles-mêmes dans les pages de Spirou. Du même souffle, je découvre le peu de considération que l’on donne à ces histoires : lecteurs et critiques s’entendent là-dessus : c’est la période mineure, ça part en couille, c’est n’importe quoi, rien à voir avec Chlorophylle ou Chaminou.
Macherot a toujours eu ce fardeau à porter : à en croire ses critiques, quoi qu’il fasse, c’était toujours meilleur avant. Peu importe ce qu’il ferait ensuite, ce serait dilué, corrompu, sans objet. D’ailleurs, son éditeur, Dupuis, semble partager cette opinion peu charitable puisqu’il a cessé de publier ses livres.

Dossier de en février 2009