Tokyo Burger

de

Jamais deux sans trois. C’était prévisible — Inoue Santa n’a pas pu se retenir de venir revisiter une fois de plus son univers de «tribus» de bad boys au grand cœur qui peuplent son TOKYO fantasmé. Et alors que les premières pages de TT3 paraissent dans le mensuel Ollie, on voit sortir quasiment coup sur coup Tokyo Tribe 2 Spin-off, le (longuement retardé) second volume de Tokyo Grafitti, et un Tokyo Burger venant s’ajouter au Tokyo Drive paru deux ans plus tôt. De quoi se demander légitimement si en (trop) bon businessman, Inoue Santa n’abuserait pas un peu en exploitant de trop sa poule aux œufs d’or.
La lecture de Tokyo Tribe2, œuvre de la matûrité en quelque sorte, avait révélé quelques tendances à la facilité, les vraies bonnes idées se voyant aussi assorties de quelques gros morceaux de provoc’ inutile. Heureusement, le tout était enlevé par un enthousiasme débordant, qui animait tout cet univers d’une énergie communicative. Seul problème, une fois le rideau tombé, difficile de continuer à tenir le rythme.

Inoue Santa se retrouve donc à tourner à vide dans son Spin-Off, comme on peut le voir à la lecture de Kai no Kyûjitsu, un récit d’une trentaine de pages qui suit le personnage principal (de plus en plus lisse et idéalisé) au cours d’une journée où il ne se passe finalement rien… au point que les personnages eux-mêmes en viennent à trinquer à ce calme bienvenu. L’ensemble prend même des accents surréalistes lorsque l’on se retrouve à visiter la boutique Santastic ! cachée en plein Harajuku, en présence de l’auteur lui-même, bouclant la boucle d’un ouvrage particulièrement complaisant.
On ne trouvera pas beaucoup plus à sauver dans Tokyo Drive, qui démontre de manière criante les difficultés d’un auteur à apporter du sang neuf à son œuvre-univers. Sans aucun doute, Inoue Santa a fait des progrès depuis ses débuts et dessine mieux, bien que l’on puisse encore lui reprocher une palette de visages féminins assez limitée. Mais en dehors de cette maîtrise graphique, ce sont les mêmes archétypes que l’on ressasse, les mêmes dynamiques que l’on ressort, les mêmes situations que l’on recycle. Ils ont beau porter de nouveaux noms — on reconnaîtra sans peine Kai, Hashim et Shokichô. Rien de nouveau sous le Soleil Levant, donc.

On aurait pu voir en Tokyo Graffiti un couronnement — l’invitation à publier dans Jump venant récompenser le travail du self-made man(ga-ka). L’aventure semblait pourtant avoir tourné court, laissant le premier volume sans véritable besoin de suite… au point qu’en postface de cette nouvelle sortie inattendue, Inoue Santa s’excuse d’avoir mis cinq ans à conclure son récit. Las, Tokyo Grafitti se révèle être un récit bancal et peu inspiré, jusqu’à cette fin des plus pressées en forme de «happy end» forcée, comme s’il fallait hâtivement achever la chose pour nous éviter une longue agonie.
Pire, là où la guerre des gangs des Tokyo Tribe fonctionnait grâce à ses aspects «plus grand que nature», jouant sur un mélange de provocation et de surenchère enthousiaste, l’univers vaguement réaliste de Tokyo Grafitti n’arrive jamais à prendre de la substance. Peut-être faut-il blâmer la publication dans Jump, qui aurait encouragé une vision plus édulcorée, mais sans doute aussi le manque de familiarité de l’auteur avec l’univers des tags : pas de quoi tomber en admiration devant les «Love» et les «Pink» qui s’étalent sur les murs, plus naïfs que véritablement subversifs.
Inoue Santa continue à fantasmer, s’offrant une bluette entre un artiste underground culte et la dernière starlette des charts de J-Pop — mais à trop vouloir faire du «tout public», finit par seulement enfiler les clichés.

Dans cette flopée de «Tokyo Trucs» plutôt dispensables, je ne donnais pas cher de Tokyo Burger, qui sentait un peu la bonne affaire marketing cherchant à profiter d’un renouveau d’engouement avec une sortie calée sur le retour de Tokyo Tribe 3. Et pourtant.
Pourtant, à première vue, Tokyo Burger n’est pas foncièrement différent : rien de très remarquable dans ces journées tranquilles passées entre copains, à parler de hip-hop et de filles, à flâner nonchalamment dans les petites rues de Tôkyô. Mais pour une fois, il laisse de côté la machine dévorante qu’est devenu Tokyo Tribe,[1] pour parler simplement de lui-même. Plus de bad boys qui surjouent un rôle déjà trop usé, disparues les guerres de gangs et leur violence crue, exit le TOKYO explosif au bord de l’hystérie — Inoue Santa nous emmène avec lui dans les rues moins connues de son Tôkyô, le vrai, celui qu’il aime et qui, visiblement, continue encore à le fasciner.
Six balades sans but précis, six occasions de plaisirs simples, à savourer ces moments calmes où l’on se perd parfois dans ses pensées. La mise en page, simple et généralement construite autour de grandes cases horizontales à bord perdu, vient souligner encore cette impression de méditation nonchalante, qui sait s’accommoder de silences.
Evidemment traversé des grandes passions de son auteur (le Hip-Hop omniprésent, sa bande de potes et les rues de sa ville), Tokyo Burger ne raconte finalement rien d’exceptionnel, mais rayonne par la sincérité qui s’en dégage. Inoue Santa accepte de ne plus prendre la pose,[2] et sans forcer, livre avec simplicité une jolie déclaration à sa ville.

Notes

  1. Comme en témoigne le site officiel de l’auteur, transformé en antenne commerciale pour un concept qui se décline désormais en t-shirts, casquettes et autres goodies plus ou moins oubliables…
  2. On choisira de passer rapidement sur les Out-Takes livrés en bonus de ce petit volume cartonné, redite photographique et un rien narcissique des pages précédentes…
Site officiel de Inoue Santa
Chroniqué par en avril 2008