Vues Ephémères – Eté 2009

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Le mois de Juillet est déjà bien avancé, et les étendues sauvages des grandes vacances se montrent bien tentantes même pour le chroniqueur le plus consciencieux. C’est l’heure des grands départs, mais aussi la page d’une année (scolaire) qui se tourne, et l’occasion de faire le point sur le trajet parcouru avant la coupure. Dont acte.
En 2007, on nous avait promis la terrifiante invasion Asiatique — après le succès des manga, c’était un ras-de-marée de productions en provenance de Chine et de Corée qui devait tout emporter sur son passage. 2008 s’était affiché sous les sombres auspices de la surproduction galopante, le spectre de la crise planant au-dessus de toutes les têtes. Mais il ne fallait pas perdre espoir — car 2009, sans aucun doute, 2009 serait l’année de la révolution numérique.

Souvenez-vous : en Octobre dernier, lors de la conférence de presse du Festival International de la Bande Dessinée cru 2009, Franck Bondoux nous présentait «une innovation forte, en phase avec les nouveautés technologiques qui se développent actuellement sur les marchés
de l’édition»
. Et de continuer : «Ainsi, n’importe quelle personne disposant d’un accès Internet, soit sur un ordinateur, soit sur un PDA ou un téléphone mobile, pourra […] parcourir l’ensemble
de la Sélection Officielle, même sur des écrans de petite taille, et choisir son album préféré.»

Fin Janvier, au moment de la grand-messe angoumoisine, Livres-Hebdo en remettait une couche, affichant cette question en introduction de son dossier annuel sur la bande dessinée[1] : «Quel salut hors de la case ?» Et de nous expliquer la redéfinition du métier d’éditeur, dans un nouveau contexte de stratégies multisupports :
«L’éditeur se fait gestionnaire multimédia avec l’émergence, il y a un mois, d’une nouvelle forme d’exploitation : la BD numérique. Relay.fr et lekiosque.fr se partagent pour le moment le marché de la diffusion de ces albums dématérialisés vendus 4,90 euros. […] Pour l’instant la BD est juste une transposition du papier sur l’écran,» mais comme l’indiquait Hervé Langlois (directeur marketing et commercial de Soleil) : «un nouveau média est né». Cependant, rappellait Livres-Hebdo, «un autre type de support arrive, le téléphone portable. Les annonces de lancement de BD pour mobiles pourraient bien rythmer le prochain Festival d’Angoulême.»

Oui mais voilà. D’annonces, au Festival d’Angoulême, il n’y en eût guère. En fait,
en dehors des tentatives de Soleil[2] et des Humanoïdes Associés amorcées fin 2008, les éditeurs sont restés particulièrement discrets quant à leurs fameuses «stratégies multisupports» et autre «redéfinition du métier».
Rien de faramineux non plus du côté d’Ave !Comics et de digiBiDi, les start-up qui se sont lancées sur le segment — puisqu’elles font état aujourd’hui d’un catalogue encore limité avec tout juste… une cinquantaine de titres proposés pour chacune.[3] Comme le résume le rapport des États Généraux de la Bande Dessinée[4] : «à l’heure actuelle, le marché de la BD numérique n’existe pas, en tous cas pas sous une forme rentable.» Ça a le mérite d’être clair.

Si les amateurs de chiffres de ventes resteront sur leur faim, la véritable révolution numérique, elle est ailleurs, se dissimulant entre autres derrière des intitulés aussi glamour que «Les contrats d’édition de bande dessinée et le numérique».[5] Car, comme le souligne le compte-rendu de ce colloque, les enjeux du numérique vont bien au-delà des simples nouveaux marchés à conquérir demain, et s’inscrivent en plein dans les discussions entre auteurs et éditeurs autour de la négociation de leurs droits et de leurs contrats.
En Novembre 2008, alors que certains s’enthousiasmaient pour les nouveaux débouchés que pouvaient représenter iPhone et autres plates-formes numériques, le Groupement des Auteurs de Bande Dessinée se fendait ainsi d’une lettre faisant état d’«un souci récurrent concernant les conditions contractuelles et notamment les deux points suivants : l’édition numérique et les droits audiovisuels», indiquant en particulier que «la plupart des éditeurs conditionnent la signature d’un contrat portant sur l’exploitation en livre, à la signature de l’avenant audiovisuel, l’un ne pouvant aller sans l’autre, ce qui constitue à nos yeux, au mieux un détournement de la loi, au pire un abus de position dominante.»
On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas ce qu’écrivait Livres-Hebdo en Janvier dernier, en termes autrement fleuris : «L’évolution des marchés […] fait aujourd’hui des droits dérivés une source de revenus supplémentaires et un axe majeurs pour la solidité de l’édition de bande dessinée. En interne, les éditeurs s’attachent à mieux structurer la vente des personnages ou des scénarios sous des formes déclinées en licences ou droits audiovisuels.»

Certes, tout cela est bien moins excitant que perspectives de croissance et téléchargements par milliers. Mais alors que l’on a débattu au Parlement autour de la «loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet» sans jamais vraiment évoquer les créateurs, il apparaît essentiel de définir et protéger leur place dans l’espace numérique.
Et en bande dessinée, 2009 sera l’année du juridique…

Les sorties de l’Eté 2009
Aurélia Aurita – Buzz-moiLes Impressions Nouvelles, Collection «For Intérieur»
Fanny Dalle-Rive & Anne Baraou – Une demi-douzaine d’ellesL’Association, Collection Ciboulette
Claire & Jake – Francis rate sa vieCornélius, Collection Delphine
Edimo & Simon-Pierre M’Bumbo – MalamineLes Enfants Rouges
Jochen Gerner – BranchagesL’Association, Hors Collection
Killoffer – RecapitationL’Association, Hors Collection
Mahler – SpamReprodukt
Mizuki Shigeru – Kitaro le Repoussant t.8 – Cornélius, Collection Paul
Jean-Christophe Menu – Lourdes coquillesL’Association, Collection Patte de mouche
Benjamin Monti – VideLa Cinquième Couche, Hors Collection
Rochette & Veyron – Edmond le Cochon t.2 – Cornélius

Collectifs
A La Frite SauvageAlain Beaulet
Canicola 7 – Canicola
Lapin N°39 – L’Association, Collection Lapin
Stripburger 49 – Forum Ljubljana
Revues
Le Tigre, Numéro 32 juillet-août 2009 – Le Tigre
Essais
Guillaume Laborie – Jim Steranko, tout n’est qu’illusion…Les Moutons Electriques, Collection Bibliothèque des miroirs BD n°1
Harry Morgan & Manuel Hirtz – Les apocalypses de Jack KirbyLes Moutons Electriques, Collection Bibliothèque des miroirs BD n°2

Requiescat in Pace
Martin Vaughn-James (66 ans), peintre et auteur de La Cage, œuvre marquante et incontournable ;
Dave Simons (54 ans), dessinateur ayant travaillé entre autres sur Conan, Ghost Rider, Red Sonja ou encore Spider-Man pour Marvel Comics.

Manga-gaku
L’université Seika à Kyōto continue à développer son programme d’étude du manga. Après avoir établi le premier cursus universitaire consacré à la bande dessinée nipponne en 2000, elle a ouvert en 2006 sa Faculté du Manga ainsi que le Kyōto International Manga Museum. A la rentrée prochaine (soit au printemps 2010), elle inaugure le premier Mastère de Recherche en Manga au Japon, avec 20 places disponibles. Avis aux amateurs…
(Illustration empruntée à Boucq)

Notes

  1. in Livres-Hebdo numéro 761, daté du 23 Janvier 2009.
  2. Qualifiées par Hervé Langlois de «test en grandeur nature», histoire de tâter la température du marché.
  3. On notera que l’offre d’Ave !Comics se décline en trois langues, avec 28 titres en français, 16 en anglais et 3 en espagnol. En face, digiBiDi brouille un peu les cartes, en proposant des preview gratuites de quelques pages pour un peu plus de 250 titres en plus des 46 titres actuellement disponibles à l’achat.
  4. Qui se sont tenus à Lyon le 5 Juin dernier, en ouverture du Quatrième Festival de la Bande Dessinée de Lyon.
  5. Journée qui s’est tenue dans le cadre des Rencontres Professionnelles de la Maison des Auteurs, le 4 Juin dernier à Angoulême.
Humeur de en juillet 2009